Ce pays que nous aimons, et qui ne nous le rend pas.

Publié le par Gerry

http://img.over-blog.com/599x409/1/08/44/51/Sourire-jpg.jpgUn sondage (effectué par l’institut américain Gallup, et publié par Forbes en 2010),  sur le critère du bien-être classait le Togo, sur les 155 pays où s’est déroulée l’étude, en dernière position. La première réaction que j’eue en lisant le titre de l’article consacré au sujet fut le rejet, ou tout du moins, l’incrédulité, associant plutôt ce genre d’information à un montage, une sorte de cabale contre mon pays bien aimé. Mais en allant plus loin dans la lecture de l’article sur le site de Forbes, j’ai rapidement découvert que l’enquête avait été effectuée pendant plusieurs années par des professionnels au fait de leur métier, et que de toute façon, une si grosse institution américaine ne pouvait investir autant d’argent dans une enquête avec l’unique but de salir le nom du Togo.

Passé les étapes d’incrédulité et d’indignation (légitime), vient ensuite l’instant fatidique d’interrogation. Pourquoi les Togolais se sentent-ils si malheureux ? Mon ami Blaise, un dur des durs de l’opposition, a la réponse toute trouvée : C’est à cause d’un demi-siècle de dictature d’un clan au pouvoir. Mais cette réponse ne me satisfait guère. Dictature ou pas, les Togolais ont toujours connu une paix relative, à l’opposé des pays comme la Sierra Léone, le Libéria, la Somalie, le Tchad, le Rwanda et l’Iraq (autant de pays qui sont devant nous dans ce sondage). Des pays comme le Cameroun sont dirigés par des présidents inamovibles, et pourtant le Cameroun est 96éme sur la liste, devant l’Inde, la  Turquie, et la Chine.

Mon autre ami, Lambert, Rpétiste notoire, invoque quant à lui la misère, liée bien entendu à la grève générale et illimitée de 93( le contraire eut été étonnant). Mais là aussi, l’argument ne tient pas. Le PIB/habitant du Togo était estimé par la CIA World Facebook en 2009 à 900$, soit 400 000 FCFA. Certes, cette valeur nous met derrière tous nos voisins limitrophes (Ghana 1300$, Benin 1500$, et Burkina 1100$) mais nous restons devant l’Ethiopie (700$) le Burundi (400$) et surtout le Zimbabwe (200$) qui sont tous devant nous dans ce sondage. Par ailleurs, le PIB/habitant ne reflétant plus de façon objective le niveau de développement d’un pays, on fait plus appel aujourd’hui à l’IDH (indice humain de développement) pour classer les pays selon la qualité de la vie. Et même dans ce classement pour l’année 2009, le Togo n’occupe pas la dernière place.  Dans cette liste donc, nous sommes 159éme, sur 182 pays, mais devant le Benin (eh oui) le Sénégal (oui !), le Burkina Faso, et le Mali, pour ne citer que ceux-là. Même le Ghana, notre voisin de l’ouest envié en permanence, n’est que 152e, soit à quelques encablures.

Donc, tout n’est pas si noir dans notre pays, même si le chemin est encore long pour le plein épanouissement. Alors, pourquoi le Togolais se sent-il si malheureux ? Je crois que c’est à cause du désespoir et de la disparition de l’optimisme dans nos rapports au temps.

Toute personne qui vit à Lomé (mais je présume que c’est la même chose que partout dans notre pays) ressent au moins une fois dans la journée cette angoissante impression, qui forme une boule dans le ventre et remonte insidieusement vers la gorge, de se retrouver au pied du mur. Je prendrai trois petits exemples, tirés de mon expérience personnelle, pour expliquer cette angoisse existentielle qui parait être plus prégnante au Togo que partout ailleurs.

1 : La réfection des infrastructures. Le Togo est en chantier, et tous les Togolais, quel que soit leur bord politique, doivent être fiers de ça. Mais la contrepartie, c’est le mépris que les entreprises de TP ont pour la circulation des personnes et des biens. Lorsqu’une voie est barrée pour cause de travaux, il devrait être prévu, en amont, l’établissement d’itinéraires de contournement balisés (panneaux de signalisation) et surtout aménagés, pour permettre aux usagers de la route de continuer à bénéficier de conditions acceptables de circulation. À la place, c’est souvent quant on arrive au croisement qu’on découvre que la route est barrée, et qu'il ne reste plus qu'à se tracer un itinéraire qui, par ces temps de pluie, tient plutôt au moto-cross. Et que dire de ces voies bloquées pendant des mois pour des travaux jamais achevés. La réaction de nos compatriotes relativement à ces déconvenues reste le fatalisme, et ceci pour une raison évidente, l’absence d’interlocuteur. Normalement, dans un état décentralisé, les services municipaux suivraient au pas les entreprises des TP, pour s’assurer que le bien-être des citoyens n’est pas lésé, que la durée des travaux ne pèse pas les commerces et les services, que des habitants ne se retrouvent pas dans l’impossibilité d’accéder à leur maison, pour cause de construction de caniveaux, sauf à passer sur une minuscule planche fournie par l’habitant. L’absence d’interlocuteur renvoie au fatalisme, d’où le désespoir.

2 : La conscience morale. Ces deux dernières semaines, des journaux, plutôt réputés pour la crédibilité de leurs investigations, ont fait part de deux scandales qui, à juste titre, auraient dû secouer tout le landerneau syndical et politique togolais. Il s’agit du monumental scandale financier concernant Contour global, et des raisons de l’augmentation du prix des produits pétroliers. Sans vouloir entrer dans les détails, ces journaux expliquaient que Contour Global aurait investi 100 milliards de FCFA dans une centrale qui ne fournissait que de l’énergie d’appoint au Togo, pour en récolter 500 en 25 ans. Et que la CEET, pour faire face aux surcoûts générés par situation, a été obligée d’augmenter le prix de l’électricité. Pour l’augmentation du prix du carburant, un autre analyste financier, sur la base de chiffres présentés par le gouvernement, nous démontrait tout simplement que si on avait un tant soit peu respecté les taux du change du dollar au moment de l’achat des produits pétroliers, nous aurions pu nous mettre à l’abri d’une augmentation maintenant. Par ailleurs, les commissaires du gouvernement dans l’élaboration du budget 2011 ont rapporté aux députés que la CEET avait renoué avec ses pertes, qui s’élevaient en deux ans à plus de 5 milliards, sans jamais dire clairement à quoi ces pertes étaient dues, et quelles sanctions avaient eu les responsables. Ce qui est certain est que ces scandales financiers ont de lourdes répercussions sur le quotidien du Togolais lambda, qui se voient encore plus enfoncé dans la misère. Le plus étonnant est que la révélation de ces scandales n’a pas suscité de remous. Ni dans la société civile (l’association togolaise des consommateurs s’est à peine fendue d’un communiqué demandant la réduction du prix de l’électricité). Les opposants remuants et avides à manifester n’ont trouvé aucun motif d’interpellation des ministres concernés au parlement, ni d'inscription de ces sujets sur leur plateforme de revendication. Il faut croire que seul le pouvoir les intéresse. Le régime en place n’a pas fait de vagues non plus. Mais lui, on peut le comprendre. C'est lui qui est indexé, même si dans la logique de gouvernance participative de rigueur partout, une grosse conférence de presse explicative aurait été fort indiquée. Cette inertie est à l’origine de l’empathie ambiante dans notre pays. Il s’y développe un sentiment d’abandon, source de désespoir.

3:La préférence nationale. J’ai sur la préférence nationale une longue théorie, que je ne développerai point ici. Pour me résumer, je dirai que notre pays s'emploie depuis plusieurs années (pour certains domaines, ceci est antérieur à l’arrivée de Faure Gnassingbé au pouvoir) à saboter systématiquement ce qui faisait sa particularité. Nous n’avons pas su protéger les nana benz à l’arrivée de Hitarget et aujourd’hui, elles ont perdu le monopole de la vente de pagne au profit de Cotonou, Lagos et même Abidjan. Nous n’avons pas vu défendre notre pole position dans la fourniture des services liés à internet, que Café informatique avait fièrement implanté au Togo, ceci devant le Ghana et même le Sénégal. Aujourd’hui, nous trainons un misérable taux de pénétration d’internet de 5%, alors qu’il était de 4% en 99, à l’époque où presque tous les pays africains, en dehors de l’Égypte et de l’Afrique du Sud, en étaient à 1 ou 2%. Nous n’avons pas su organiser notre commerce des véhicules d’occasion, et aujourd’hui, plusieurs importateurs sont partis s’installer au Bénin et au Ghana. Nous sommes malheureusement en train de tuer notre système éducatif, qui était pourtant réputé dans la sous-région, et donc bientôt, nous risquons d’importer des instituteurs de pays où jadis nous envoyions nos jeunes cadres pour enseigner. Pour moi, la préférence nationale reste un plan en filigrane que tous les gouvernements, quelles que soient leurs idéologies, appliquent, soit pour la grandeur du pays (la grandeur de la France, comme le disait de Gaule), ou pour des objectifs plus terre-à-terre de politique de développement. J’ai été confronté à cette absence de préférence nationale dans mon projet d’implantation d’un point Harmattan au Togo. Le projet avait un double intérêt : mettre à disposition du public des livres à moitié prix (et non seulement des livres d’harmattan) et offrir aux auteurs togolais désireux de publier à l’harmattan une assistance et surtout une accessibilité qu’ils n’auraient jamais eues auparavant. Le projet, du genre associatif, me paraissait excellent, pour mon pays, car j’appartiens à cette classe de doux rêveurs qui croient encore que le mot patrie à un sens. Du coup, après avoir bénéficié d'un premier soutien du SCAC pour le voyage exploratoire en France pour rencontrer la maison Harmattan, je n’ai pas hésité pour les deux voyages suivants, à mettre la main dans la poche pour assurer la logistique. Le projet arrive donc à la phase d'exécution, je loue des bureaux (à mes frais) à Lomé, Harmattan envoie les livres (dépôt-vente) à ses frais, et il ne me reste plus qu’à les faire sortir du port. Pour ce faire, je compte sur la ratification par le Togo des accords de Florence et des protocoles additionnels de Nairobi, accords qui consacrent la suppression des taxes à l’importation des biens culturels, y compris les livres. Et c’est là que tout coince. La loi a certes été votée et publiée au journal officiel, mais personne ne semble intéressé à l’appliquer. Certaines bonnes volontés me permettent de récupérer la première fournée de livres, grâce à un « bon à enlever » de la douane, mais ce n’est pas bon puis qu’il s’agit d’une faveur, qui ne vaut pas application de la loi. Et déjà la deuxième fournée de livres est là, en attente de sortie au port. Je me démène, envoie les courriers, fais des appels tous azimuts, pour finir par me rendre compte que pour récupérer mes livres, il fallait payer, comme si la loi n'avait jamais existé. Et c’est ce que je finis par faire. Voilà où se trouve le mur de verre. Il est invisible, mais on bute sans cesse sur lui, sans jamais savoir à quelle porte s’adresser.

Au mois dernier, j’ai organisé une communication avec certains jeunes de la diaspora à Paris sur le sujet de l’entrepreneuriat au Togo. L’impression que tous ces jeunes ont, c’est qu’on ne veut pas d’eux dans leur pays. En 2010, cette diaspora avait envoyé au Togo 143 milliards de nos francs, soit 150% de notre masse salariale, et pourtant, elle n’a pas de droit de vote, et n’a même pas éé recensée en novembre dernier. Je reste persuadé qu’ils se trompent, on a besoin d’eux, mais la réalité est que notre système sociétal est encore trop primaire, trop peu structuré et insuffisamment décentralisé pour que le sentiment national imprègne notre désir de vivre ensemble. Beaucoup trop souvent, le ministre, voire le chef de l’État reste le premier et le dernier interlocuteur. Beaucoup trop de nos lois, de nos règlements ne sont jamais appliqués, faute d’institutions fortes et indépendantes pour les porter à bout de bras. D’où, une fois encore, ce désespoir ambiant.

Le Président de la République dans son discours de début d’année disait à juste titre qu’il avait l’impression que les Togolais n’y croyaient plus. Cette prise de conscience vaut résolution du problème à moitié. L’autre moitié concerne les mesures urgentes à prendre pour qu’on y croie de nouveau, pour qu’on cesse d’être le peuple le plus malheureux de la planète. Je ne pense pas que les solutions soient uniquement politiques, même si les réformes institutionnelles me paraissent les plus indiquées à court terme pour juguler le mal. À mon avis, la solution tient à une autre approche de l’organisation de notre société, moins politisée et plus centrée sur le sentiment national, car entre la petite frange de militants qui encensent le régime et l’autre frange qui le conspue, l’immense majorité des Togolais que je croise, n’ont sans doute qu’une envie : retrouver la fierté d’être togolais, avec un salaire autorisant la vie, une capacité de se soigner dignement, l’accès à une école républicaine et efficiente, un toit, un sentiment de sécurité, et surtout, le rêve d’un avenir meilleur, pour nos enfants. Et notre amour pour notre pays n’en sera plus que meilleur.

Publié dans Info togolaises

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M
<br /> <br /> Bonjour Gerry<br /> <br /> <br /> Super  votre blog sur le Togo, j'y ai vécu 10 ans: 1982à 1992, date des manifestations contre le président Yadéma, décédé maintenant.<br /> <br /> <br /> Pays fantastiqueque j'ai adoré, j'ai une amie , Loretta Accouetey<br /> <br /> <br /> En regardant votre blog, tous mes souvenirs me reviennent en me laissant un brin de nostalgie , je me suis sentie chez moi à Lomé, à Kara etc !<br /> <br /> <br /> J'ai toujours en moi le désir d'y retourner, mais ma retraite étant très "maigre", cela m'est impossible.<br /> <br /> <br /> Très cordialement  Micheline une yovo !!<br /> <br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> merci pour la justesse de ton analyse. La pédagogie pour un nationalisme rationnel obéit aussi comme pour l'éducation ua principe de l'exemplarité. Je reste outré par le manque d'ambition de ces<br /> quadras qui ont le pouvoir aujourd'hui et dont les lueurs apathiques face aux enjeux de demain,en sus de leur voracité pathétique, contribuent à enraciner brutalement dans notre corpus social<br /> national le desespoir et le désintérêt pour la "nation".<br /> <br /> <br /> Je reste persuadé que le genie togolais qui réside en chacun des membres de la jeunesse consciente triomphera<br /> <br /> <br /> Si c'est des institutions que le changement viendra,il reste à penser que ça tarde tant parce que les hommes pour soutenir véritablement ces institutions n'ont pas encore éclos<br /> <br /> <br /> merci pour ta pugnacité à dire les choses vraies<br /> <br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Très bel article et je retiens cette phrase que je viens de partager sur mon mur Facebook : "entre la petite frange de militants qui encensent le régime et l’autre frange qui le conspue,<br /> l’immense majorité des Togolais que je croise, n’ont sans doute qu’une envie : retrouver la fierté d’être togolais, avec un salaire autorisant la vie, une capacité de se soigner dignement,<br /> l’accès à une école républicaine et efficiente, un toit, un sentiment de sécurité, et surtout, le rêve d’un avenir meilleur, pour nos enfants"<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Il nous faut une société civile qui se soucie réellement des difficultés des togolais, qui interpelle qui de droit sur chacune des difficultés du citoyen lamda et qui est aux cotés du dernier des<br /> togolais.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je crois à un Togo meilleur !<br /> <br /> <br /> <br />
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