M Hernandez

Mme Hernandez était transfigurée : elle riait. Chez cette femme d’humeur, cette attitude était si inhabituelle que les muscles de son visage avaient du mal à s’adapter. Le résultat donnait une sorte de rictus auquel l’observateur avisé finissait par attribuer à un état de sublime allégresse. Il suffisait de savoir lire entre les rides.
Elle avait obtenue une autorisation illimitée de visites à mademoiselle Aurore Bitimuku. Elle passait la majeure partie de son temps libre en compagnie de la fille de feu son ami. Elle et Jacob Bitimuku s’étaient rencontrés à l’université de Bordeaux. Etudiants étrangers, ils avaient connu la même précarité de la vie. Puis ils avaient flirté un peu, pour tenir le coup. Plus tard, ils étaient restés de très bons amis, et cette relation s’était renforcée avec la venue de la Portugaise au Kiiguland.
La conversation entre les deux femmes tournait toujours autour de l’être aimé qui n’était plus. Mme Hernandez réveillait des souvenirs inconnus de la jeune Kiigulandaise. Ces évocations développaient d’ailleurs chez les deux êtres une intimité dont personne ne semblait apprécier la portée réelle, mais qui les laissait toujours plus assoiffées l’une de l’autre à la fin de chaque visite. La Portugaise était entrain de se découvrir des instincts maternels, et ce n’était pas mauvais.
Avec la confiance, Aurore avait fini par ouvrir son cœur. Elle avait parlé de Jérôme de Bercenay, de son amour candide, et de son expédition chevaleresque pour la sortir des griffes de la barbarie.
- C’est l’amour, disait alors la Portugaise, c’est l’amour. Personne ne peut lutter contre l’amour.
Elle devenait espiègle. L’enfance surprenait cette femme de caractère comme une averse tropicale. Et elle s’y barbotait délicieusement, ravie de retrouver cette folle insouciance.
Une fois seulement Mme Hernandez avait prononcé le nom du lieutenant Ibrahima Ba-Yoko. Aurore s’était figée, comme frappée de stupeur. La Portugaise avait compris et s’était résignée à garder ce qu’elle savait de l’homme pour elle. C’était pourtant dommage. Elle était persuadée que c’était ce jeune homme qui l’avait appelée une nuit au téléphone, pour lui annoncer l’imminente exécution de la fille de son ami.
- Dommage ma fille, mais il va falloir que je te laisse, dit la Portugaise en se levant. Le Haut Conseil siège aujourd’hui et tu sais que je dois y être.
 Aurore hochât la tête. Mme Hernandez était la seconde représentante de la société civile au Haut Conseil de Sécurité. Et elle prenait ce rôle très à cœur.
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