La loi de nos pères

Publié le par Gerry

 

http://www.icilome.com/LogoNewsx/26054.jpgVoici quatre jours que je suis en pleine activité au nord du pays, à faire des repérages pour l’agence de tourisme que je m’apprête à lancer, ainsi que le ranch qui se construit patiemment, avec énormément de difficultés. Mes journées sont remplies de paysages magnifiques, d’explorations, et de rencontres simples. D’ici, les tribulations politiques de Lomé me paraissent lointaines, même si les journalistes eux, ne m’oublient pas et m’arrachent par moment des interviews téléphoniques.

Ce samedi 19 janvier est de mon point de vue  une journée de honte pour le peuple togolais. Ainsi donc, des Togolais sont sortis dans les rues de Lomé et de Kara pour marcher… en réaction aux sinistres des marchés. Si je comprends bien, un chapelet d’incendies éclatent un peu partout sur l’étendue du territoire, nul ne connait à ce jour les responsables de ces « crimes », personne n’a encore établi de façon précise ni le mode opératoire, ni la grille de choix des sites, pire, nous n’avons à ce jour pas renforcé notre capacité à lutter contre ces feux, puisque les casernes de pompiers ne se trouvent qu’à Kara et à Lomé (si un incendie se déclare dans les 33 autres chef-lieu de préfecture du Togo, nous ne pouvons presque rien faire) les victimes de incendies précédentes sont encore en attente de l’aide de l’Etat, dont la plus urgente est la reprise de leur activité, pour retrouver une certaine dignité, et ce que nous trouvons de plus visible à faire, c’est des marches.

Le CST a ainsi appelé à une marche pour demander la libération d’Agbéyomé Kodjo. C’est bien. Depuis une semaine, je n’ai pas arrêté de dénoncer la bouc-émissérisation de ce dossier. Mais est-ce que la procédure est illégale. Non, malheureusement. Dans une enquête préliminaire, les officiers de police judiciaire, peuvent, sur autorisation du procureur de la République, et pour les besoin de l’enquête, priver de sa liberté tout justiciable. Au Togo, la durée de la garde à vue est de 48h, mais celle-ci peut être prolongé jusqu’à 8 jours, et dans certains cas exceptionnels à 12 jours. Après, c’est soit la prison, ou la liberté, en attente d’un éventuel procès. Est-ce que la justice togolaise est respectueuse des règles de procédures ? Bien sûr que non. N’oublions pas que la première fois qu’Agbéyomé a été écouté à la gendarmerie, on est allé le cueillir chez lui comme un brigand, s’asseyant au passage sur son immunité qu’on a vite fait de sauter cette fois-ci à l’assemblée nationale. Et si on ajoute à cela les cas Agba Bertin, Bodjona, Kpatcha Gnassingbé, et les milliers de Togolais qui subissent dans l’indifférence et l’anonymat les injustices de notre justice, on peut dire avec un cynisme mesuré, qu’il s’agit là d’une situation banale dans notre appareil judiciaire. Fallait-il pour autant faire une marche pour attirer l’attention ? Non, à mon sens, et ceci pour trois raisons : La première est qu’on a déjà marché pour la libération de Kpatcha Gnasingbé, pour celle de Agba Bertin et aussi pour Pascal Bodjona et ces gens sont toujours sous les verrous. Pragmatisme. Pragmatisme. La seconde est que si marche il fallait, je la vois plutôt pour demander au gouvernement d’équiper sans tarder des casernes de sapeur pompiers dans les cinq régions économiques, ou pour inciter Faure à mettre rapidement à la disposition des femmes qui en feront la demande, un capital pour relancer les activités, garanti par l’Etat, le temps de faire les inventaires et proposer des solutions pérennes aux drames que nos mamans ont vécu, ou alors une marche de solidarité pour les fonctionnaires, qui vivent dans des conditions d’un autre temps et qui viennent une fois encore de se faire cambrioler par le gouvernement. La troisième raison est que devant l’ampleur du drame que ces commerçants ont vécu, aucune récupération politique ne devrait être acceptable. Il n’est pas humainement tolérable de subir une telle perte, et de trouver un réconfort  dans la cacophonie orchestrée par ces manifestations, où chacun y va avec son petit discours, alors qu’à la fin de la journée, quand tout le monde est rentré chez lui, le problème reste entier, dans son horrible nudité. Ce dont ces hommes et femmes ont besoin à mon avis, c’est du silence, de l’écoute, de la compassion, de la solidarité, de la générosité.

De la générosité, parlons-en. Les sympathisants de l’UNIR ont marché, aussi. Pour soutenir le chef de l’Etat. A la fin de la marche, le traditionnel billet bleu de 2000F a changé de mains, dans la traditionnelle cohue, aussi. C’est tellement odieux qu’on se demande où sont parties les valeurs qui soi-disant caractérisent la société togolaise. Des hommes et des femmes ont tout perdu, et d’autres hommes et d’autres femmes soutiennent un autre homme qui n’a rien perdu, et se distribuent de l’argent qui aurait pu commencer à aider ceux qui ont tout perdu. Notre pays est perdu, avec cet esprit-là. J’ai, pendant deux jours, essayé de toucher tous ceux que je connais autour du Président, pour leur demander de tout faire pour annuler cette marche de la honte. En fin de compte, j’ai cru comprendre que les cercles de décision autour de notre président étaient à géométrie variable, et qu’il y a des actions que presque tout le monde reprouve, mais que personne ne peut interdire, en fonction de la variabilité de ces cercles. Dans ce cas, tout le monde se contente de regarder ailleurs, toute honte bue. Nous faisons pitié.

J’avais, dans une récente publication, déclaré ouvertement que je présenterai mes excuses au peuple togolais pour mes propos d’apaisement à l’endroit de notre jeune président, si cette marche avait lieu. Je les présente volontiers, mais avec amertume, car en face nous ne faisons pas montre de la retenue et de la hauteur nécessaires devant un drame qui secoue autant les fondements de notre société.

En 2012, le Togo n’a consommé que 32,4% de son Programme d’investissements publics (24,9% sur les ressources externes, et 45,2% sur les ressources internes), ce qui veut dire simplement que le Togo n’arrive pas à consommer la moitié de l’argent que l’impôt, la douane et le trésor mettent à sa disposition pour les investissement, et (pire) nous ne sommes pas capables de consommer le quart de l’argent que nos partenaires (BM, FMI, autres Institutions internationales) mettent à notre disposition au registre de dons, prêts et subventions. Le plus grand scandale de la République, et l’échec de la politique de Faure, se trouvent là. Ce sont des données faciles à vérifier, et publiées par les commissaires du gouvernement. Tous les flagorneurs qui battent le pavé pour soutenir la politique de Faure se trompent de combat. Nous avons bataillé pour retrouver la coopération internationale, nous avons serré la ceinture pour profiter de l’initiative PPTE, nous nous refusons à faire passer le statut de la fonction publique pour ne pas exploser notre masse salariale, alors que nous avons déjà dépassé les critères de convergences de l’UEMOA (en 2011, notre masse salariale représentait 41% des recettes fiscales, contre 34% imposés par l’UEMOA) nous faisons tous ces sacrifices pour laisser l’argent dormir dans nos caisses pour ce qui est du notre, et dans les caisses étrangères pour ce qui est de celui que les étrangers nous donnent. Et pendant ce temps, nos entreprises ferment les portes une à une, faute de marchés. Marchez autant que vous le voudriez, vous êtes maintenus dans la misère par cette incurie gouvernementale. Plusieurs parmi vous ( hormis certains fonctionnaires qui n’ont guère le choix, survie oblige) n’iraient jamais à ces expositions, si elles avaient un emploi décent que leur prive la non-utilisation d’une part conséquente du budget d’investissement.

Quant à ceux de l’opposition qui misent sur la mobilisation populaire pour réaliser l’alternance, de mon point de vue, je pense que l’alternance sera un mouvement naturel le jour où la classe moyenne sera dominante dans notre société. Le jour où le vote d’un citoyen togolais ne se marchandera pas à un billet bleu. Cette classe moyenne sera constituée d’une constellation de petites et moyennes entreprises. Et dans tous les pays, les PME/PMI sont soutenues par les financements publics. S’il existe encore une raison pour qu’on batte pavé tous les jours dans ce pays, c’est à mon sens pour forcer le gouvernement, avec bien entendu des propositions à l’appui, à accroitre son taux d’exécution des investissements publics.

La loi de nos pères, faite de marches et de contremarches doit dorénavant appartenir au passé. Place à la société de l’entreprenariat, des Pme/PMI et de la classe moyenne dominante. La vraie alternance est à ce prix.

 

Publié dans Info togolaises

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